Ann Shulgin, l’une des principales penseuse et autrice à avoir guidé la résurgence actuelle de l’intérêt pour les psychédéliques est décédée chez elle le 9 juillet, en compagnie des personnes qui l’aimaient, à l’âge de 91 ans.
Ann était la veuve et la co-conspiratrice du légendaire chimiste Alexander Shulgin dit “Sasha” ; elle était aussi la matriarche d’une communauté de thérapeutes, de scientifiques, d’universitaires, d’explorateurs et d’exploratrices des possibilités ouvertes par les substances psychédéliques. Au sein de leur couple, Ann était la plus sensible aux différentes individualités et celle qui comprenait le mieux les complexités de la psyché, tandis que Sasha était un génie de la chimie et de la psychopharmacologie. Lorsqu’ils se sont rencontrés en 1978, Sasha avait déjà créé le 2C-B, ainsi que de nombreuses autres molécules psychédéliques. Il avait également redécouvert la MDMA, décrit sa chimie et ses propriétés psychoactives. Ann et lui notèrent son potentiel thérapeutique unique, marquant le début de son lancement sur le devant de la scène médicale.
Ann fut la première à explorer les usages thérapeutiques de la MDMA et du 2C-B, ainsi que de plusieurs composés apparentés, à une époque où ils n’étaient pas illégaux. En tant que thérapeute laïque, elle développa des méthodes de travail avec ces substances, en incorporant des concepts de la psychanalyse jungienne. Elle savait faire le « travail de l’ombre » avec ses clients et n’hésitait pas à guider généreusement d’autres thérapeutes dans ce processus. Ann a d’ailleurs fait une présentation influente sur ce travail de l’ombre [i1] lors du Congrès Women’s Visionary de 2019.
Ensemble, Ann et Sasha ont conçu et écrit deux livres marquants – PiHKAL : A Chemical Love Story (1991) et TiHKAL : The Continuation (1997) – racontant l’histoire de leur relation et de leur communauté, entrelacée de recettes des créations moléculaires de Sasha et de descriptions de leurs propriétés fournies par des collaborateurs. Or, les éditeurs traditionnels considéraient que PiHKAL était trop controversé pour être publié. Les Shulgins ont donc créé leur propre maison d’édition, Transform Press[i2] , pour rendre leur travail public. Il peut être difficile de comprendre qu’il n’y a pas si longtemps, les psychédéliques étaient non seulement diabolisés par les gouvernements et les médias, mais que l’application de leur interdiction était souvent vraiment draconienne. PiHKAL a ainsi attiré l’attention des forces de l’ordre sur leur travail. Le laboratoire d’arrière-cour de Sasha fit l’objet d’une enquête, entrainant beaucoup de perturbations et de détresse, et finalement de lourdes amendes, mais heureusement rien de pire. Leur deuxième livre, TiHKAL, s’ouvre sur le récit de cette expérience.
Ann était née Laura Ann Gotlieb en Nouvelle-Zélande le 22 mars 1931. Sa mère était néo-zélandaise et son père était consul des États-Unis. Du fait de la profession de son père, Ann reçut une éducation internationale. Agée d’une vingtaine d’années, elle s’installa à San Francisco, où elle fut étudiante en art, épousa un étudiant en art et eut un fils, Christopher McRee. En 1960, Ann épousait le psychanalyste jungien John Weir Perry, avec qui elle eut trois enfants : Alice Garofalo, Wendy Tucker et Brian Perry. Ann et John se séparèrent en 1969.
Ann laisse donc derrière elle ses enfants, huit petits-enfants, cinq arrière-petits-enfants et les innombrables membres de la communauté pour lesquels elle a été une figure maternelle, une enseignante et une boussole éthique.
Ann a épousé Sasha dans le jardin de la ferme Shulgin le 4 juillet 1981, et leur anniversaire de mariage est devenu, avec le dimanche de Pâques, une occasion de rassemblement annuel de la communauté des scientifiques, des universitaires et des praticien·nes travaillant avec les psychédéliques, à contre-courant de la culture de l’époque, pour se rencontrer et discuter. Les dîners du mercredi soir (qui deviendront plus tard les dîners du vendredi soir) ont commencé par être des réunions périodiques par la famille élargie, puis se sont étendus au fil des ans pour devenir des repas-partagés pour l’ensemble de la communauté. Les Shulgins ont joué le rôle de figures parentales, en particulier pour les personnes dont les familles ne comprenaient pas ou ne soutenaient pas leur intérêt pour les psychédéliques. Ann et Sasha étaient remarquablement enclins à maintenir des relations ouvertes et amicales avec un ensemble divers de groupes communautaires, même lorsqu’il y avait de la compétition ou des factions entre eux. Ce n’est que dans le cas d’un comportement profondément répréhensible, celui d’espionner et de faire un rapport sur l’un d’entre eux pour le gouvernement, qu’Ann a fermé la porte à la célèbre hospitalité des Shulgins.
Ann a montré comment vivre en tant que bon·ne citoyen·ne dans la communauté psychédélique. Aimable, généreuse, présente dans la relation à l’autre, thérapeute exemplaire et mentor avisé, son grand cœur transparaissait dans l’éclat de ses yeux. Elle aimait sa famille par-dessus tout, son mari, ses enfants et ses petits-enfants. Et elle aimait celles et ceux qui la côtoyaient. En retour, elle a été entourée d’un cercle d’amour et de soins jusqu’à son dernier souffle et au-delà.
La famille Shulgin suggère à toute personne souhaitant honorer la vie et les contributions d’Ann de le faire en faisant un don au Women’s Visionary Congress (WVC)[i3] . Depuis 2008, avec le soutien d’Ann, le WVC a réussi à mettre en lumière les rôles vitaux des femmes dans le domaine des psychédéliques, à honorer les pionnières du domaine et à encourager davantage de femmes à entrer dans ce champ d’étude.
Art by Trey Brasher.
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Note: This is a French translation of the original article which was published in English in the Chacruna Chronicles. Translation by Zoë Dubus.
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